Cambodge Soir, 25 Janvier 2007
Voyage dans un Cambodge
qui recycle au quotidien
Lorraine de Foucher
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La galerie Reyum*
était trop petite pour accueillir toutes les personnes venues
assister au vernissage de Creative Cambodia, Recycling Everyday
Materials. Une exposition de photos montrant la deuxième vie
d'objets du quotidien ou comment des bidons d'huile en métal mis
bout à bout peuvent faire office de toit, des pneus devenir pots de
fleurs ou, plus étonnant encore, des munitions servir de grelots
pour chevaux de trait. A coté des photos se dressent quelques
spécimens de cette créativité dont on peut faire preuve quand
nécessité fait loi. Au milieu de tout cela, le co-fondateur et
directeur de Reyum, Daravuth Ly, semblait aux anges. "L'expression
'on n'a pas de pétrole mais on a des idées' pourrait résumer le
principe de cette exposition", estime-t-il. Quelques jours plus tard,
le livre d'or s'est déjà bien étoffé. Etrangers comme Cambodgiens
célèbrent tout au long des pages la créativité des paysans du
royaume. "Merci Reyum de m'avoir permis de voir plus de ces objets
en une fois que je n'ai réussi à en voir pendant mes trois mois de
séjour au Cambodge", a ainsi écrit un touriste allemand.
Du temps, Daravuth Ly
et ses collègues de Reyum en ont eu besoin pour
réunirtouscesobjetsetces photos. Ils ont constitué un fonds de
recherche il y a près de 4 ans, dans l'intention de poser sur papier
glacé ces bricolages, un jour amenés à disparaître. "On a en quelque
sorte mâché le travail aux archéologues du futur", explique-t-il. A
l'arrivée, une base de données de près d'une centaine de photos, qui
témoigne de "l'intelligence technologique présente derrière chacune
des fabrications". A travers ce projet, il s'agit davantage de
comprendre comment un tapis de laine peut devenir un hamac, plutôt
que de transformerces objets en fétiches al-termondialistes, à
l'image detousces sacs en toile de riz et autres cendriers en
canette qui sont à la dernière mode dans les pays occidentaux.
C'est justement cet
écueil que Da ravum Ly tente d'éviter dans son exposition : "Je ne
voulais pas tomber dans le panneau de l'exotisme". Pour cela, un
effort de présentation a été fait car le fétichisme, comme il dit,
peut être évité si les choses sont remises dans leur contexte. "C'est
comme les Cambodgiens qui mangent des araignées, ça épate les
touristes; mais si vous replacez cela dans un contexte socioculturel,
ça devient on ne peut plus normal." Un autre piège était à
contourner : le risque alors de muséi-f ier l'ordinaire, qui aurait
échappé aux Cambodgiens. "Au fond, qu'est-ce qu'un pneu découpé en
pot de fleur aurait à faire dans une salle d'exposition?" En effet,
pas besoin d'aller dans un musée pour croiser tous ces objets, une
balade dans les rues de Phnom Penh suffit. Daravuth Ly ne revendique
donc pas ces accessoires du quotidien en eux-mêmes, qu'il estime
d'une grande banalité, mais plus leur réunion dans l'idée de laisser
une trace pour la postérité.
Alors, lorsque le
visiteur entre à Reyum, où se retrouve-t-il? Dans une galerie d'art
ou une exposition à la gloire de l'ingénierie cambodgienne? "Exactement
dans l'entre-deux", répond Daravuth Ly en souriant. "Regardez ce pot
de fleur en pneu, il a été découpé en dents de scie, il y a un
motif, un mouvement esthétique. Mais c'est une pratique populaire,
la personne qui l'a fait ne se considère pas comme un artiste. "
Derrière cette
exposition, il y a aussi un message que la fondation Reyum veut
faire passer aux sociétés industrialisées. En exposant ces objets,
empreints de débrouillardise, il s'agit aussi de critiquer la perte
d'ingéniosité qui frappe les sociétés développées, où les objets
cassés sont plus souvent jetés aux ordures que bricolés ou réparés.
"Il n'y a plus de place pour que cette créativité du quotidien
s'exprime là-bas. Je tenais à conserver une trace de tout cela,
alors que le Cambodge se dirige vers une société de consommation."
Selon lui, ces photos et ces objets sont en quelque sorte les
derniers bastions de l'intelligence du quotidien. Mais il se défend
bien sûr d'être un pourfendeurdu développement, bien conscient que
les gens qui se construisent un toit en bidons d'huile préféreraient
évidemment avoir un toit de tôle. Faire du neuf avec du vieux, faire
de l'art avec de la banalité, c'est peut-être là toute la puissance
du recyclage au Cambodge. Puissance qui s'incarne le mieux, d'après
lui, dans une petite boîte de métal, surmontée d'un bout de ficelle.
Une conserve vidée de son contenu qui a entamé une nouvelle carrière
de lampe à pétrole.
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* 'Reyum, 47'rue 178, www.reyum.org Exposition Creative Cambodia,
Recycling Everyday Materials, ouverte jusqu'à fin mars, avec
légendes en khmer, anglais et bientôt en français et japonais.
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